Les sanguines de Sixtine

Published On: 22 juillet 2025

Bonjour Sixtine, vous avez réalisé en décembre dernier une série de portraits intitulée « Témoins d’espérance » pour illustrer le livret diocésain du Jubilé. Comment avez-vous accueilli cette commande ?

Friard et Secondel, ermites des premiers tempsCe projet était vraiment particulier car il fallait partir de supports extrêmement variés : des photos, des sculptures, des vitraux, des peintures, des dessins au crayon… J’ai trouvé l’exercice passionnant : s’approprier des sources très différentes et parvenir à un rendu homogène.

Pouvez-vous nous parler de votre passion pour le dessin, et en particulier pour la sanguine ?

J’ai commencé à dessiner lorsque j’étais au collège, en prenant des cours qui étaient pour moi une véritable « récréation » : un moment privilégié dans ma semaine, presque comme un cadeau. J’ai rapidement été attirée par deux techniques en particulier : la sanguine et le pastel sec. Ce que j’aimais, c’était leur aspect tactile. Ces médiums friables se travaillent beaucoup avec les doigts : on peut estomper les pigments sur un petit papier, créer des traits doux, ou au contraire, affûter la sanguine pour tracer des lignes nettes et rigides. Cette variété de gestes permet de moduler le rendu avec beaucoup de liberté. J’avais l’impression de participer activement à la création, presque comme si je sculptais le dessin. La sanguine, en particulier, m’a toujours fascinée pour sa capacité à représenter la chair, les volumes du visage, les ombres subtiles.

Au lycée, j’aimais beaucoup les mathématiques, alors je me suis dit : pourquoi ne pas envisager l’architecture ? Mais en rencontrant des architectes, j’ai découvert qu’ils travaillaient énormément sur ordinateur, et cet aspect-là me plaisait moins.

Et puis il y a eu la voix de la raison, celle de mes parents — que je remercie aujourd’hui. Ils m’ont conseillé de m’orienter vers une école de commerce, en me disant : « Tu pourras toujours revenir au dessin plus tard, mais assure-toi d’avoir un diplôme qui t’ouvrira des portes. »

Je suis donc entrée en école de commerce. J’y ai trouvé un super stage, puis j’ai enchaîné, et me voilà… en gestion de projet informatique ! Ce qui est assez ironique, puisque je me retrouve à travailler quotidiennement sur ordinateur, ce que je voulais justement éviter en architecture.

Être artiste et essayer d’en vivre, c’est aussi être entrepreneur, et cette expérience en gestion de projet m’a donc donné des bases solides.

J’ai travaillé à Paris, puis à Nantes, ensuite, je me suis mariée avec Benoît, et nous avons eu des enfants — aujourd’hui quatre ! Mais à l’époque, avec deux jeunes enfants, j’ai commencé à m’interroger sur le sens de mon travail, sur le temps que j’y consacrais, et sur les besoins de ma famille. C’est à ce moment-là que des questions plus profondes ont émergé…

Qu’est-ce qui a été le déclencheur dans ce changement de trajectoire ?

Sixtine dans son atelierTous ces événements m’ont amenée à me dire qu’il était temps de faire une pause pour réfléchir. J’ai donc entamé un bilan de compétences avec l’association ACTE, que j’ai beaucoup appréciée. C’est à cette occasion que l’idée du dessin est revenue. Mais en rencontrant d’autres personnes, en échangeant, je me suis dit : « Allez, il faut que je me lance ! »

Je ne voulais pas rester isolée, j’ai donc décidé d’organiser des expositions, de rencontrer du monde. J’ai découvert un atelier d’artistes dans lequel j’ai pu avoir une place en sous-location. Cela m’a permis de rencontrer d’autres artistes, de partager des idées… Par la suite, on a créé un autre atelier, plus grand, celui où je travaille aujourd’hui : l’Atelier La Bobine.

C’est à cette période, en 2019, que j’ai officiellement créé ma structure. Au début, je ne me concentrais pas uniquement sur la sanguine. Je voulais proposer des dessins de naissance, des maisons de famille, etc. Pour m’exercer, j’ai dessiné la maison de mes grands-parents à la sanguine. Et là, j’ai eu beaucoup de chance : le consultant qui m’accompagnait dans mon bilan de compétences m’a commandé deux portraits. Il les a tellement aimés qu’il m’en a commandé deux autres !

En publiant ces portraits, j’ai reçu ma première commande extérieure. C’est comme ça que l’idée des portraits à la sanguine a émergé, un peu par hasard.

À ma connaissance, en France, nous sommes peut-être deux ou trois à nous consacrer à la sanguine.

Comment tout ce parcours croise-t-il votre vie de foi ?

J’ai grandi dans une famille catholique pratiquante. À la maison, on ne parlait pas forcément beaucoup de notre foi, mais elle était bien vivante. Nous étions engagés dans le scoutisme et nous participions à de nombreuses activités. À l’adolescence, je ne me suis pas posé beaucoup de questions : j’ai rapidement rejoint des amis très porteurs, avec qui les interrogations tournaient davantage autour du sens de la vie.

Je n’ai jamais rejeté ma foi, mais je l’ai vraiment faite mienne à travers des temps forts : les JMJ, un pèlerinage en Terre Sainte, des propositions pour rejoindre un groupe de prière… Être intégrée à un noyau vivant m’a permis de grandir spirituellement, et ces étapes ont jalonné mon chemin de foi.

Il y a aussi eu des moments plus difficiles, qui ont joué un rôle dans mon évolution personnelle et spirituelle. L’un d’eux a été une fausse couche, survenue entre notre deuxième et notre troisième enfant. Sur le moment, bien sûr, ce n’était pas facile à vivre. Mais avec le recul, je vois que cela a été comme un petit grain de sable qui a déclenché beaucoup de belles choses.

C’est ce qui m’a poussée à faire un bilan de compétences, à me réorienter vers le dessin. Cela a aussi été un tournant dans ma vie intérieure : j’ai commencé à me poser des questions plus profondes sur la vie, sur la mort, sur ce qu’il y a après… J’ai eu des échanges très riches avec des prêtres, avec des amis. Je n’avais jamais vraiment connu de blessure auparavant, et là, j’ai compris ce que d’autres pouvaient traverser. Cela m’a permis de me rapprocher de certaines personnes.

Aujourd’hui, nous sommes engagés dans la paroisse Saint-Donatien, qui vit un véritable renouveau après l’incendie de 2016. C’est une communauté extrêmement vivante. Je trouve que le Chemin Neuf y fait beaucoup de belles choses. Avec Benoît, nous nous investissons notamment dans la préparation au mariage, et c’est une grande joie de voir des jeunes couples grandir ensemble et se rapprocher de Dieu.

Avant de réaliser les portraits des Témoins d’espérance, vous aviez déjà dessiné la cathédrale de Nantes et la basilique Saint-Donatien ?

Sanguine de la CathédraleOui, c’est vrai, ce n’étaient pas des commandes, mais des initiatives personnelles. Je m’étais dit que ce serait beau de dessiner les plus belles églises de Nantes… Alors j’ai commencé par la cathédrale.

Pour Saint-Donatien, c’est l’incendie qui a été le déclencheur. Je me suis dit que je pourrais peut-être faire quelque chose et j’en ai parlé avec Pierre Bernay, un peintre de la paroisse qui travaille à l’huile, et qui avait eu exactement la même idée. Nous avons donc peint et dessiné la basilique, proposé des reproductions numérotées et signées aux paroissiens et reversé une partie des ventes à la paroisse. Cela nous donnait de la visibilité, et soutenait la paroisse financièrement.

Revenons au livret, ces Témoins d’espérance, que vous ont-ils apporté dans cette trajectoire ?

J’ai trouvé ça très beau de pouvoir travailler pour l’Église. Je me suis sentie chanceuse de pouvoir « vivre » avec ces saints.

Avant de lancer mon entreprise, j’avais fait une retraite pour réfléchir à la direction que je voulais donner à mon activité. Ce jour-là, j’ai eu l’idée d’écrire une prière pour les personnes que je dessine. Je prie pour qu’elles avancent bien dans la vie, qu’elles rencontrent de belles personnes, et que, des années plus tard, en retrouvant leur portrait, cela leur rappelle quelque chose de leur enfance. Quand je dessine des maisons, je prie pour que ce soit un lieu d’unité, de paix et de joie. Ce sont deux petites prières que je relis avant de commencer un portrait, pour me mettre dans une disposition intérieure particulière. C’est un peu inspiré, très humblement, du processus de prière qui accompagne l’écriture d’une icône — ma belle-mère en écrit, et cela m’a beaucoup marquée.

Pour les Témoins d’espérance, j’ai essayé de m’imprégner de leur vie pendant que je dessinais. J’écoutais des récits sur eux, notamment sur Louis-Marie Grignion de Montfort, sur lequel on trouve beaucoup de documents. Pour d’autres, il y avait moins de matière, alors je lisais les textes du livret. C’était très enrichissant. Par exemple, Anne-Françoise Moreau, qui dès l’enfance voulait partir en Chine — c’est incroyable ! Ou encore frère Célestin et frère Michel, ainsi qu’un autre frère de l’Abbaye de Bellefontaine : trois personnes qui, la même semaine, ont reçu l’appel à partir à Tibhirine. À travers leurs histoires, on perçoit vraiment le passage de l’Esprit Saint.

J’ai aussi redécouvert que c’est Louis-Marie Grignion de Montfort qui est à l’origine du « Totus Tuus » (Totalement à toi)*, que Saint Jean-Paul II a tant mis en avant — et que nous avons d’ailleurs fait graver dans nos alliances. Ce projet m’a permis d’apprendre plein de choses et de grandir dans ma foi.

Comment vivez-vous le Jubilé de l’espérance, pour lequel ce livret a été réalisé ?

Témoins d'espéranceJ’ai suivi tout le parcours proposé à Saint-Donatien. C’était très intéressant de découvrir davantage la figure des Enfants Nantais, de passer du temps dans la crypte, de faire les différentes démarches dans la basilique. Cela avait beaucoup de sens pour moi. J’aimerais aussi découvrir un autre parcours, peut-être celui de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort.

Et puis, cet été, nous allons emmener notre aîné à Rome pour ses 10 ans, juste avec papa et maman. Trois jours rien que pour lui !

Ce thème de l’espérance est vraiment capital aujourd’hui. Il est essentiel dans nos vies, dans un monde souvent morose, marqué par la guerre et les mauvaises nouvelles. À l’atelier, on en parle souvent. Nous sommes tous très différents, avec des univers et des modes de vie variés. Mais on a la chance de pouvoir échanger librement, sans tabous ni jugements. Je ne dis pas tout le temps « je suis catho », je ne fais pas de prosélytisme, mais quand on me pose une question, j’y réponds avec sincérité.

Il m’est arrivé de discuter avec des personnes très affectées par ce qu’elles entendent aux infos. Et moi, je me dis : le sens de notre vie, ce n’est pas seulement ce qui se passe ici-bas. Ce qui compte vraiment, c’est ce qu’il y a après. Le temps qu’on passe sur terre, comparé à l’éternité, ce n’est presque rien. Alors j’essaie de vivre dans la joie de ce qui nous attend, et de faire de mon mieux ici pour ne pas louper le ciel !

Que pensez-vous de la démarche de pèlerinage proposée dans ce livret, est-ce quelque chose qui vous correspond ?

Oui, tout-à-fait. J’ai déjà fait plusieurs pèlerinages dans ma jeunesse, à Chartres et en Terre Sainte. Même si aujourd’hui je fais peut-être plus souvent des retraites que des pèlerinages, j’ai aussi parcouru une partie des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce sont des temps qui me nourrissent profondément.

Quand on marche, on ne réfléchit plus trop. On met un pied devant l’autre, et cela s’accorde très bien avec la prière du chapelet. Le paysage défile lentement, nos pensées vagabondent, ou bien on peut entamer une discussion et vraiment la creuser. C’est comme si le temps s’arrêtait, au milieu de nos vies effrénées. C’est agréable de pouvoir se poser un peu. Je m’émerveille souvent de la nature, des paysages que l’on traverse. Même sous la pluie, je me dis : « Allez, on y va quand même ! » On reste dans la joie, même au milieu des difficultés. Et je trouve que tout cela aide beaucoup à la prière.

Et à l’atelier, comment ces portraits de saints ont-ils été accueillis ?

Je ne les ai pas cachés. Ils étaient là, sur mon bureau, visibles. Je me suis un peu demandé comment les autres allaient réagir. Dessiner des églises, c’est une chose, mais des prêtres ou des religieuses, c’est plus engageant. Je ne savais pas trop quel était le vécu de chacun. Et j’ai été agréablement surprise. Il y a eu une vraie ouverture. Les gens me demandaient : « Tiens, qu’est-ce que tu fais ? Raconte-moi… » C’était beau de voir des échanges naître autour de la vie de ces saints.

Et puis, au moment de livrer la commande, j’ai eu un petit pincement au cœur. J’avais passé du temps avec eux, ils m’avaient accompagnée pendant plusieurs semaines. Et là, ils prenaient une autre dimension, ils repartaient en mission ailleurs.

Propos recueillis par Isabelle Nagard

*Tirée de la « La vraie dévotion à Marie » de saint Louis de Montfort, la formule « Totus tuus » exprime le désir de se donner entièrement à Jésus-Christ par Marie.

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